Liberté Dreemur

De WikiGargillon


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Liberté Dreemur
Nom de naissance :
Alias :
Naissance : Non Communiqué
Statut : En vie
Activité(s) principale(s) : capitaine

(Nouvelle) contrepartie Ulule 2021

Après avoir récupéré des ressources ainsi que les plans du Faucon des mers, navire prodigieux de la guilde des marchands capable de traverser les tempêtes de l’est, Liberté retourne au port d’Erassius pour retrouver le reste de son équipage ainsi que son navire et débuter l’ambitieux projet de colonisation des îles vierges de l’autre côté de la mer.

— À la vôtre !

Les chopes s’entrechoquèrent sur le pont de la Seiche d’argent. Cela faisait quelques semaines déjà que Liberté avait retrouvé son navire, qui l’attendait patiemment au port d’Erassius. Quelques semaines déjà et elle trouvait pourtant tout juste le temps de fêter cela dignement avec son équipage. Le retour de Tamendil avait été mouvementé : en possession des plans du Faucon des mers, elle avait dû agir vite de concert avec le reste de la Flotte libre de Perrasie pour le mettre en sûreté, faire des copies et lancer la construction de plusieurs navires capables de braver la haute mer. Ils avaient connu de fâcheux contretemps : les navires de livraison de bois destinés à la construction navale avaient coulé en mer avec leurs propriétaires, et s’en était suivi une longue et fatigante bataille juridique avec la Guilde des marchands pour qu’ils puissent prétendre à récupérer ce que la mer avait bien voulu ramener du naufrage. C’était en bonne voie, cependant ; ils avaient sauvé la plupart de la cargaison et même quelques employés compétents parmi les survivants, qui cherchaient désormais à faire face à un second naufrage : celui de leur entreprise.

Tout cela les avait bien occupé et voilà qu’arrivait déjà le jour où était prévu leur départ. C’était la troisième expédition en destination des îles vierges de l’est : le Faucon des mers avait traversé ces îles en premier, puis s’ensuivit l’expédition de Liberté qui les avait proprement explorées, et il s’agissait maintenant d’y retourner pour y poser les bases d’une colonie. La Fédération de Bragorn s’était certes finalement décidée à attaquer l’Arthon, mais avait préféré s’en prendre à son territoire historique plutôt que de libérer au plus vite les contrées Perrasiennes occupées, aussi ils n’étaient pas prêts de rentrer chez eux et ne comptaient pas passer leur vie à Erassius. Le peuple perrasien partait pour de nouvelles terres. En attendant que les nouveaux navires soient construits, la Seiche d’argent était le seul à pouvoir effectuer la traversée, aussi il était normal qu’il parte en avance en emportant avec lui le « strict minimum » pour établir un camp de base sur place. « Strict minimum » qui était composé de divers artisans capable de travailler le bois, le métal, la pierre, le cuir, ainsi que des réserves de graines de nourriture et de nombreux outils : l’expression faisait sourire Liberté, son navire n’avait jamais été aussi chargé.

— Allez, les gars ! Descendez-moi tout ça ! Tout doit disparaître, les restes seront jetés à la mer !

Ses réserves d’alcool avaient dû être sacrifiées pour gagner de la place, et elle ne comptait pas abandonner des tonneaux pleins sur le port. Elle balaya le pont du regard et sourit. Les marins et les artisans chantaient ensemble des champs perrasiens accompagnés au bandonéon. Elle ne regrettait pas d’avoir insisté pour qu’ils emportent quelques instruments. Un peu plus loin, Marshall s’occupait d’un jeune qui avait le teint pâle après avoir surestimé sa descente, et lui donnait quelques distillats dont il avait le secret. Dans ce contexte instable où tout le continent s’entre déchirait, il lui semblait que c’était eux, les Perrasiens, qui avaient tant perdu, qui s’en tiraient pourtant au meilleur compte : la sensation grisante de rebondir les avaient rendus euphoriques et incorrigiblement optimistes.

Les célébrations finirent tard dans la nuit. Qu’importe, ils n’avaient pas prévu de partir à l’aube. Liberté s’apprêtait à rentrer dans sa cabine, mais un mousse resté accoudé à la balustrade retint son attention. C’était un jeune Perrasien qui avait rejoint l’équipage il y avait peu, aussi elle ne le connaissait pas encore très bien. Elle s’accouda en silence à ses côtés.

Sans tourner la tête, les yeux vers le ciel, il lui demanda :

— Capitaine, vous croyez que les étoiles seront les mêmes, là où l’on va ?

— Le ciel change, pas les étoiles. Tu devrais le savoir, moussaillon, c’est bien ce qui nous permet de nous repérer en mer !

— Je sais… J’ai juste peur… Qu’elles ne paraissent pas les mêmes.

— Tu as le mal du pays ?

Il se redressa pour répondre.

— J’avais pris l’habitude de regarder les étoiles avec mon père, le soir. Il avait ce télescope… un bel objet en cuivre, fabriqué par les Nains. Il est mort à Trost : c’était un mage. Depuis que je suis ici, je viens tous les soirs observer le ciel, mais… ce n’est plus pareil. J’ai l’impression que les étoiles sont plus ternes, pas à leur place, que les constellations ne forment que des amas grossiers. C’est comme si l’on m’avait ôté le ciel pour me mettre un décor mal peint devant les yeux. Mon père me disait : « Si le ciel est ton toit, le monde entier est ta maison ». C’est drôle, je me rends compte aujourd’hui qu’il avait raison d’une étrange façon : on m’a privé du ciel et je ne me sens chez moi nulle part.

Liberté garda le silence quelques instants, puis se dirigea de l’autre côté du pont.

— Suis-moi, je vais te montrer quelque chose.

Le jeune mousse la suivit sans comprendre : elle l’avait emmené simplement à la balustrade du côté opposé, face à la mer et non au port.

— Regarde-les encore une fois.

Circonspect, il s’exécuta leva les yeux.

— Non, en bas.

Il descendit le regard jusqu’à la surface de la mer. La nuit était claire et les reflets de la lune ainsi que des étoiles les plus vives dansaient sa surface, se déformant légèrement au gré des vaguelettes. Son regard s’illumina et il resta ainsi, les yeux grands ouverts, fasciné par le spectacle.

— Bienvenue à la maison, lui annonça Liberté en lui donnant une tape amicale sur l’épaule avant de le laisser profiter du moment.

Le lendemain, le pont fut nettoyé, les voiles tendues, l’ancre levée, et la Seiche d’argent était partie. Liberté jeta un œil à la coque : la ligne de flottaison était plus basse que jamais, mais pas au point où cela devait l’inquiéter, puis elle se dirigea vers sa cabine. À l’intérieur, sous la barre, le petit autel cylindrique en bois verni, décoré de cerclages en métal qui l’enserraient sur toute sa longueur sous la forme de tentacules stylisés qui partaient tous d’un petit habitacle central vide, attendait son dû. Liberté retira de son doigt la bague d’Octapodéus et la plaça dans l’espace prévu à cet effet. Immédiatement, certains des tentacules métalliques se rétractèrent pour bloquer la bague, et juste au-dessus, sur le bois, se dessina une luminescence aigue-marine qui fit apparaître la forme d’un calamar. La Seiche d’argent était un bateau incroyable, mais ne disposait pas de la science navale qui se cachait derrière le Faucon des mers : en l’état, il n’était pas capable de traverser la Tourmente, cet amas de tempêtes qui grondait à permanence à l’est.

C’est le capitaine Galdor, son ancien propriétaire, qui avait trouvé cet élégant moyen de tricher. Cette bague bénie par le dieu des mers permettait à son propriétaire d’écarter tempêtes et mauvais courants. Galdor ne s’en était servi que pour cacher ses richesses sur un pic rocheux au beau milieu de la Tourmente, inaccessible autrement, mais Liberté avait exploité son plein potentiel pour la traverser tout à fait et aboutir sur de nouvelles mers, de l’autre côté des tempêtes.

Elle regarda sur son bureau les cartes qu’elle avait tracées lors de son dernier voyage. La grande île de la mer du Crabe, voilà ce qu’ils visaient. Il y avait là-bas des ressources en abondance ainsi que l’équivalent d’une province perrasienne entière en superficie. Liberté l’avait nommée Rivenoire en raison de ses grandes plages volcaniques, d’un sable ébène. Quant au nom de leur colonie, il restait encore à décider. Tout était à construire, c’était cela qui était excitant !

Elle modéra son enthousiasme. Il s’agissait déjà d’arriver : même avec l’aide de la bague, la traversée n’était jamais acquise. Des cris sur le pont attirèrent son attention. Elle ouvrit la porte en grand et s’avança, le pas confiant et les mains sur les hanches. Les cris venaient de la vigie.

— QU’EST-CE QU’IL SE PASSE, LÀ -HAUT ? Hurla-t-elle pour se faire entendre.

_ … là… niens !

Qu’est ce qu’il pouvait y avoir comme vent ! Et ces mouettes qui ne voulaient pas se taire ! Liberté grommela. C’était bien la peine d’avoir une vigie. Elle passa sa longue-vue à sa ceinture et s’élança sur les cordages pour se hisser jusqu’au nid de pie. Le jeune matelot que l’on avait placé là pour sa bonne vue avait l’air catastrophé.

— Là ! Montra-t-il du doigt. Là ! Répéta-t-il en montrant à l’opposé. Et même là aussi ! Pointant droit derrière la Seiche d’argent, en plein dans son sillage.

Liberté déplia sa longue vue et regarda aux endroits indiqués : des trois mâts imposants, surmontés de pavillons jaune et noir qui ne trompaient pas : les arthonniens les prenaient en tenaille avec plusieurs navires de guerre. Elle s’attendait certes à croiser un navire de patrouille, mais une manœuvre d’une telle ampleur ne pouvait vouloir dire qu’une seule chose : ils les attendaient. La date de leur départ n’était connue que par l’expédition et la hiérarchie de la flotte, et l’existence même de leur expédition par guère plus de monde. Il y avait vraisemblablement un rat dans l’équipage. Ils n’étaient pas de taille à affronter les navires lourdement armés. Liberté braqua sa longue vue vers l’horizon où s’accumulait les nuages et où brillait régulièrement l’éclat d’un éclair. Les tempêtes de la haute mer n’étaient plus si loin, ils pouvaient toujours tenter de les prendre de vitesse : une fois dans la Tourmente, ils ne pourraient plus les suivre. La Seiche d’argent était réputée pour sa vitesse, mais, chargée comme elle était, ce n’était pas gagné d’avance. Liberté dévala le mât, sauta sur le pont pour gagner du temps et héla tout l’équipage.

— Tout le monde à son poste ! Toutes voiles dehors, sortez les rames, et du nerf ! Les Guêpes cherchent à nous encercler, on va passer en force !

Branle-bas de combat sur le pont : le navire chargé à bloc s’affaira comme une fourmilière. Un premier tir de semonce gronda au nord, un second au sud. Les boulets s’écrasèrent dans la mer à grandes éclaboussures.

Évidemment qu’ils ont des canons…

Ce n’était pas le cas de la Seiche d’argent, qui n’avait que deux petites balistes : une à l’avant et une à l’arrière, et tout juste cinq épieux pour les faire fonctionner : ils étaient lourds, aussi ils en avaient embarqué le minimum.

Les trois navires de guerre leur tournaient autour comme des requins en se rapprochant peu à peu : ils étaient déjà à portée de tir, mais s’abstenaient : ils auraient pourtant pu les couler sur place s’ils l’avaient voulu.

Ils ne veulent pas nous couler, ils veulent nous piquer le navire… Réalisa Liberté.

— Armez les balistes, et prenez de quoi vous défendre ! Ils vont tenter l’abordage, on va les accueillir comme il se doit ! Tous ceux qui ne rament pas où ne s’occupent pas des voiles, sur le pont, en position de combat ! Les autres, ne vous arrêtez sous aucun prétexte : si on ralentit, on est morts !

Son regard balayait le pont, et les navires qui se rapprochaient de plus en plus. Ils savaient ce qu’ils faisaient, les Arthonniens : deux des trois navires allaient les accoster en même temps, à bâbord et à tribord, le troisième restait dans leur dos pour leur barrer la retraite au cas où ils feraient demi-tour. Dire qu’ils n’avaient aucune chance de remporter cette confrontation, c’était un euphémisme. Pourtant qu’il y avait-il de mieux à faire que de les attendre sur le pont, fer à la main ? Ils étaient rapides, certes, mais ils ne pourraient pas éviter l’abordage. Elle réfléchissait à toute vitesse. Si elle se contentait de faire ça, c’est qu’elle s’attendait simplement à un miracle : elle était en train d’envoyer son équipage à la mort. Dans son esprit saturé par l’urgence, que l’adrénaline pressait de son étau de fer, une idée folle se révéla peu à peu.

Un peu plus loin, perchée sur la proue majestueuse de l’Espadon couronné, l’amiral Grim scrutait sa cible à la longue vue, s’apprêtant à négocier l’assaut : ce n’était qu’une affaire de secondes avant que leur pont ne soit contre le leur. À leur tribord, le Sauveur Karmeric était également en place. L’objectif était simple : une frappe chirurgicale d’une grande force, un déferlement de deux équipages tout équipés et entraînés de sorte à ce que la reddition soit immédiate, avec le moins d’effusions de sang possible. La Seiche d’argent était plus rapide, mais leur trajectoire diagonale les rendaient inévitables : leur efforts pour tenter de les distancer, gonflant les voiles et sortant des rames, le faisaient sourire.

Il haussa un sourcil : n’était-ce pas justement la grand-voile qu’il voyait remonter jusqu’à sa vergue ? Il ne rêvait, pas, ils remontaient toutes leurs voiles précipitamment. Brusquement, toutes les rames de la Seiche d’argent plongèrent en même temps.

Sur le bateau de Liberté, les matelots s’étaient mis à cinq derrière chaque rame et poussaient de toutes leur forces pour résister à la force de l’eau et faire freiner le navire. Des rames se brisèrent, d’autres glissèrent de mains rendues trop moites par l’effort, mais le bateau ralentit sensiblement. Grim et son navire arrivaient trop vite, et il était trop tard pour s’adapter à leur nouvelle vitesse. À quoi jouaient-ils ? Leur grande vitesse était leur seul atout, et ils venaient de le sacrifier : s’ils les dépassaient, ils n’avaient qu’à faire une boucle pour revenir à leur niveau et les cueillir. Ils s’étaient condamnés : ils ne regagneraient jamais suffisamment vite la vitesse qu’ils avaient perdu.

Ça y est, les trois navires étaient côte à côte. Grim leva la main pour suspendre l’abordage. Le contre-amiral, sur le Sauveur Karmeric, fit de même : ils n’avaient pas le temps de faire passer tous leurs hommes, le moment n’était pas venu. Il ordonna cependant aux archers de tirer : leur passage se devait d’avoir un impact, ne serait-ce que psychologique. La volée de flèches s’abattit sur un pont désert : ces lâches s’étaient-ils réfugiés à la cale ? Les bateaux ennemis passèrent si près que leurs voiles se touchèrent presque, et les deux équipages scrutaient le pont vide, perplexes et aux aguets.

Liberté et trois de des hommes, cachés dans l’ombre du navire de guerre qui les surplombait, s’étaient accrochés à des cordes à l’extérieur de leur navire, proche de la ligne de mouillage. Profitant que l’attention soit focalisée sur le pont, ils sautèrent sur la coque d’en face, plantant leurs couteaux dans le bois pour s’y accrocher, et coupèrent leurs attaches derrière eux. Ils progressèrent ainsi discrètement, escaladant jusqu’à la poupe de L’Espadon couronné pour atteindre la cabine du capitaine.

Pendant ce temps, les navires arthonniens finissaient de dépasser le navire ralenti et montraient désormais leur poupe à leurs adversaires. L’équipage de la Seiche d’argent réapparut alors, descendant des voiles, remontant de la cale, surgissant de caisses et de tonneaux, partout où ils avaient pu se cacher. Des cordes furent attachées à tribord, sur le mât de misaine et les bastingages avant, et la baliste de proue tira trois harpons reliés à l’autre extrémité de ces cordes. Les harpons se plantèrent non loin de Liberté, sur le côté bâbord de la poupe de l’Espadon couronné. Enfoncés profondément dans le bois, leur forme dentelée les empêchaient de se faire arracher. Les cordes se tendirent et la Seiche d’argent pencha en avant, emportée par la vitesse du navire plus imposant qui les devançait. Alors, les voiles furent de nouveau tendues pour prendre le vent. Marshall, à la barre, se démena pour garder le contrôle du navire qui commençait à être emporté en biais par les cordages.

Quand Liberté lui avait soumis ce plan, il avait catégoriquement refusé : ce n’était rien de plus qu’une mission suicide. « Je sais », avait-elle répondu. « C’est bien pour ça que je m’y colle ! Je serais un piètre capitaine si j’étais prête à sacrifier mon équipage pour sauver ma peau. » Voyant qu’il ne la ferait pas changer d’avis, il avait proposé de venir avec elle, mais elle avait refusé. Elle voulait que quelqu’un de confiance reste sur le navire : elle lui avait confié son chapeau de capitaine. Il y avait tout de même eu des volontaires. Parmi eux, un jeune Perrasien au regard particulièrement déterminé.

C’était ce petit groupe qui attendait, agrippés contre la poupe de L’Espadon couronné, que la puissante traction donne suffisamment d’élan à la Seiche d’argent pour qu’elle lui tourne autour et se propulse de l’autre côté, de sorte à placer les deux navires ennemis à leur tribord. La Seiche d’argent orbita comme une lune autour du vaisseau arthonnien et repris rapidement de sa vitesse. Les cordes des harpons furent alors sectionnées avant qu’elles ne ramènent le navire en arrière.

La Seiche d’argent fusa. Il y allait y avoir un abordage tout de même, c’était inévitable, mais le Sauveur Karmeric, bloqué de l’autre côté, était hors course pour le moment, ce qui rendait l’affrontement plus équitable. Liberté hocha brièvement la tête vers ses compagnons, et ils se mirent à grimper vers le pont. S’ils voulaient regagner leur navire, leur seule chance était de se frayer un chemin parmi les Arthonniens au moment où les deux bâtiments seraient de nouveau côte à côte, mais ils avaient d’abord une autre chose à faire. Juste au-dessus d’eux, sur le pont, une clameur retentit : les Arthonniens, comprenant que la situation était en train de leur échapper, avaient précipité l’abordage. Liberté et ses trois hommes se ruèrent alors sur le pont, s’attaquant aux quelques matelots restés en arrière pour prendre le contrôle de la barre. Liberté lança un couteau qui se ficha droit au milieu du front de l’Arthonnien le plus proche. Elle serra les dents, elle n’avait pas souhaité viser aussi bien : elle détestait tuer, mais ils n’avaient ni le temps ni le luxe de faire dans la finesse. Le timonier, un peu plus loin, eut le temps de sortir son sabre une fois la surprise passée. Liberté dégaina son épée et l’abattit sans fioritures. Son adversaire para sans peine : tant mieux, elle ne voulait que décaler sa garde vers le haut. Elle lui donna un coup de pied droit dans l’estomac et il bascula par-dessus la balustrade qui séparait la barre du pont principal. Sur les côtés déjà les renforts affluaient. Liberté profita de ces quelques secondes de gagnées pour tourner la barre à fond à tribord. Le navire vira et les ponts d’abordages s’arrachèrent, tombant à l’eau avec les malheureux qui le traversaient. Une fois son méfait accompli, elle sauta par-dessus la balustrade pour atterrir à pieds joints en plein au creux du dos du pauvre timonier qui tentait de se relever de sa mauvaise chute. Ses compagnons la suivirent, et devant eux s’étendait le pont principal, encore chargé de tous les marins qui n’avaient pas eu le temps d’emprunter les ponts pour rejoindre la Seiche d’argent. Ils crièrent pour se donner du courage, et ils chargèrent vers le bout du pont. Déjà la Seiche d’argent s’éloignait, mais la proue de l’Espadon couronné, qui représentait l’animal éponyme, avait un rostre allongé qui, s’ils allaient assez vite, pourrait leur permettre de gagner le peu de distance qui leur manquait pour sauter sur leur navire.

Ils couraient, évitaient les coups qui pleuvaient en profitant de la confusion générale. Liberté fermait la marche pour couvrir les arrières de ses hommes. Marshall, toujours à la barre, tentait de garder le cap le plus longtemps possible pour leur donner une chance, prenant le risque de frôler la collision. Les deux premiers hommes de Liberté arrivèrent sur la proue et sautèrent, s’agrippant de justesse aux filets accrochés au bastingage.

— Allez, qu’est-ce que tu attends, saute ! Ordonna Liberté au jeune Perrasien qui s’était retourné et figé au moment de s’élancer.

Il fixait quelque chose : la porte de la cabine du capitaine s’était ouverte derrière eux, de l’autre côté du pont, et un éclat lumineux caractéristique avait attiré son œil. Un éclat caractéristique, similaire à celui que produisait le télescope de son père : le reflet brillant du soleil sur une optique naine. Les Nains ne mettaient ce genre d’optique que sur deux choses : leurs télescopes, et les lunettes de leurs fusils.

Il sauta, certes, mais il sauta vers Liberté pour la pousser sans ménagement hors de la trajectoire. De l’entrée de sa cabine, l’amiral Grim tira. Il avait acheté ce petit bijou de technologie naine une fortune, et comptait bien le rentabiliser. La balle fusa le long du pont et frappa le jeune homme en pleine poitrine, qui s’écroula sur le plancher.

Liberté, horrifiée, voulut crier, mais se prit les pieds dans des cordages et passa par-dessus bord, plongeant dans l’océan dans une grande éclaboussure. Sous le choc, dans l’eau froide, elle n’avait plus aucun repère. Au-dessus d’elle, les mastodontes sombres que formaient les coques des deux navires s’éloignaient d’elle à toute vitesse. Sa main se referma sur quelque chose de mou : c’était la corde qu’elle avait utilisée pour se suspendre contre la coque, et qui flottait encore derrière son bateau. Elle n’en revenait pas de sa chance. Elle s’agrippa comme elle le put, ballottée et moitié noyée par les remous, se faisant traîner dans le sillage de la Seiche d’argent. Son équipage la remarqua vite et commencèrent à la tirer vers le bateau. Liberté entendit plusieurs tirs fuser et disparaître dans l’eau juste à côté d’elle, mais sa bonne étoile ne la quitta pas, et elle fut finalement hissée sur le pont, le teint pâle et toussant de l’eau salée. La Seiche d’argent était de nouveau à pleine vitesse, et leurs poursuivants savaient qu’ils ne les rattraperaient plus. En désespoir de cause, les Arthonniens s’étaient mis de travers pour reprendre les tirs de canon. Sur le pont de la Seiche d’argent, l’abordage avorté avait été rapidement défait et les attaquants jetés à la mer. Après une dizaine de minutes à serrer les dents sous le tir nourri des deux navires de guerre, le calme revint, et droit devant s’étendait la Tourmente, qui apparaissait à l’équipage comme une paradoxale libération. Marshall s’approcha de Liberté et lui remis son chapeau sur la tête.

— Il me semble que c’est à vous, capitaine.

Liberté lui sourit tristement. Son plan avait été un grand succès, mais la mort de ce jeune homme teintait sa victoire d’une amertume dont elle n’arrivait pas à se défaire.

— Tu te rends compte, Marshall, je ne connaissais même pas son nom.

— Grellberg. C’est comme ça qu’ils l’appellent, dans l’équipage. Aucune idée de son prénom.

— Quand on arrivera, - parce qu’on arrivera, j’en fais le serment- cette île, on va en faire un truc bien, t’entends ? Au nom de Grellberg, au nom de tous ces jeunes Perrasiens qui ont tout perdu dans cette putain de guerre, on va faire un truc bien. Un truc qu’ils pourront enfin appeler chez eux.