Enguérôme de Tourmol
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| Enguérôme de Tourmol | |||||
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| Nom de naissance : Enguérôme de Tourmol | |||||
| Alias : NC | |||||
| Naissance : 1105 | |||||
| Statut : Décédé (32 ans) | |||||
| Activité(s) principale(s) : Chevalier Perrasien | |||||
Enguérôme de Tourmol était un chevalier perrasien issu du village de Tourmol, situé dans le Duché d'Hélongar.
Histoire
Jusqu'à l'annexion de la Perrasie
Second fils de Liépauld de Tourmol (fils aîné : Edgul de Tourmol), lui-même second fils d’Auguvien de Tourmol (fils aîné : Cléotuld de Tourmol), Enguérôme appartient à une ancienne famille de nobliaux régnant sur Tourmol, une bourgade insignifiante localisé quelque part dans le duché d’Hélongar. Au fil des décennies, Tourmol s’est spécialisé dans l’élevage de moutons, la production de laine et la fabrication de rouets. Cela a valu à la famille de Tourmol quelques railleries de familles rivales (dont les Planthacastre) comme « les chevaliers en pull-over ».
Tourmol est un village quelconque : une tour seigneuriale haute de 2 étages légèrement avachie (d’où son nom) surplombant quelques chaumières, le tout protégé derrière quelques palissades. Une auberge un peu miteuse « Au Chien Assis », faisant plus fonction de lieu de convivialité aux locaux que d’étape pour les voyageurs, sert la spécialité locale : la potée au fromage. « Ben y a du chou, y a des endives, y a du fromage et si vous avez-ti de la chance, y a moyen d’avoir quèqueuh lardons. Z’êtes-ti pas content ? » dixit Bérantrude, tenancière de l’établissement. « Et voilà-ti pour mon seigneur ! »
Ayant prêté allégeance aux Ducs d’Hélongar il y a des décennies, les Tourmol se sont vus obligés de coopérer avec les autorités arthonniennes sous peine de se voir confisquer leurs terres. Fâché par cette décision déshonorante et influencé par les récits chevaleresques des héros régionaux, Enguérôme prend ses affaires et quitte le domicile familial à la recherche d’exploits à réaliser. Il s’est juré de ne revenir que quand il aura lavé le nom de sa famille.
C’est après avoir rossé quelques bandits de grand chemin « la bande à Maxou », qu’il fit une halte à Hélongar et entendit parler d’une expédition visant à occire un dragon. S’il contribue à tel exploit, jamais plus son nom ne sera associé à de vils collaborateurs.
Aller simple vers l'océan
N'entendant que son courage, il se joignit à l'expédition organisée par la résistance perrasienne, sur le navire de La Seiche d'Argent. Ce fut hélas sa dernière aventure, car il ne revient pas sur l'île du Garg.
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C’était un petit village, qui poussait tranquillement à l’ombre du grand château du Duc d’Hélongar, perdu entre quelques-uns des nombreux pieds de vignes du sud-est perrasien. On y trouvait des fermes, surtout, un lavoir de pierre, une chapelle si petite qu’on eût dit un clapier, et une tourette, tout au bout. On l’appelait tourette parce qu’il ne serait venu à l’idée de personne d’en faire une tour : si elle dépassait en hauteur les quelques fermes sans étage qui l’entouraient, c’était bien péniblement grâce à son toit en flèche et à sa girouette qui, de mauvaise grâce tant elle était tordue, lui faisait gagner les quelques pouces dont elle dépendait pour mériter son titre. Modeste de sa hauteur, elle n’en restait pas moins d’importance : chef-lieu du village, elle abritait la famille de petite noblesse qui avait la juridiction de ce territoire, vestige de l’ancienne royauté : les de Tourmol, du nom dudit village.
Les De Tourmol vivaient tous là, dans cette tourette, depuis des générations déjà. On y trouvait entassé dans ses maigres étages les fils, les pères et les aïeuls. Les branches cousines, quant à elles, étaient reléguées aux dépendances, plus spacieuses, mais qui dénotaient d’un déclassement certain vis-à-vis de la demeure historique. Enguérôme, fils de Liépauld de Tourmol, était le dernier fils de la branche secondaire de la famille. Si son père avait gardé quelque intérêt pour lui, c’est qu’Egdul, son grand-frère, avait choisi de rejoindre les ordres sacrés, le forçant à se rabattre sur le cadet pour porter les couleurs de la famille au combat. Enguérôme avait grandi à cheval, épée à la main et écu au bras, et jamais ne lui serait venu l’idée de douter de sa destinée, qu’il embrassait fièrement.
Il n’en crut pas sa chance lorsque d’âge mûr, venue l’heure de prendre les routes en quête d’aventure ou à l’aventure d’une quête, la guerre éclata au nord. Sa route était toute tracée, son fait d’arme comme déjà accompli ; il n’avait qu’à chevaucher à bride abattue jusqu’à l’envahisseur arthonnien et pourfendre, sur le front et au-delà, tous les félons qui se dresseraient sur sa route.
Il était prêt à tout, ne craignait ni ruse ni infamie, et pourtant la geste de son grand voyage qui, il le savait, occuperait les bardes pour les siècles à venir, rencontra assez vite son premier terrible obstacle, et ce sur le pas même de la tourette de Tourmol : ce premier félon qui lui barrait la route n’était autre que son père qui voulait le dissuader de son entreprise.
Ah ! L’Arthon ! Cela n’égalait pas les grandes familles d’Hélongar en termes de chevalerie et de noblesse, mais tout de même, il y avait un roi et de bien grandes familles, importantes de leurs richesses comme de leur renommée, et bien plus fréquentables que tous ces bourgeois parvenus qui gangrenaient la Perrasie. Pour Liépauld, s’il y avait gloire à tirer de cette guerre, c’était en chevauchant aux côtés des chevaliers arthonniens, et non à se faire piétiner dans la boue parmi les conscrits perrasiens, plus attachés à leur solde qu’à leur terre.
Quelle infamie pour Enguérôme que de trahir le pays qui l’avait vu grandir ! Son père ne comprenait décidément rien à la chevalerie : ces soi-disant nobles familles ne pouvaient pas être si nobles de cœur puisqu’ils les attaquaient sans raison. Il suivit alors ce que son honneur lui intimait, et lui claqua la porte au nez, n’emportant avec lui que son armure, son épée, sa lance, son écu, son cheval et son bardage, trois de ses grandes outres d’eau et d’hydromel, ses couvertures de laine, son nécessaire de couture, un demi-jambon séché, un minimum de vaisselle, deux kilos de confiture et une grande brioche aux raisins préparée par sa mère, soigneusement emballée dans un lange en lin. Ce qu’il n’emporta pas, ce fut une carte, car cela n’allait pas à sa condition d’errance.
Cette décision courageuse compliqua toutefois sensiblement son voyage, et les semaines passèrent sans qu’il ne parvienne à quitter les plaines d’Hélongar. Il avait tout de même progressé honorablement : il en avait presque atteint la périphérie. Cependant, malgré ses efforts, il fallait avouer que le front était en bonne voie pour le rattraper avant qu’il ne parvienne à le rejoindre. Entre l’errance et la perdition, il n’y avait qu’un pas, mais un noble chevalier comme Enguérôme avait l’intime conviction que peu importait, car s’il n’allait pas jusqu’à l’aventure, l’aventure viendrait bien à lui.
Et en effet c’est au détour de deux collines, sur une route rocailleuse de l’arrière-pays, alors que son cheval était forcé au pas sous peine de se fouler un sabot dans l’une des nombreuses ornières, que l’aventure le rattrapa finalement. Devant lui, derrière, sur les côtés : de chaque buisson et renflement qui bordait le passage sortirent innombrables de terribles brigands qui vinrent l’encercler. Enguérôme resta stoïque, et les compta du coin de l’œil. Ils étaient quatre, armés jusqu’aux dents de leurs poings et de leur méchanceté, et parfois même de petits canifs. Lui était seul, et n’avait même pas pris le temps ce matin de boucler ses solerets par-dessus ses grèves, laissant ses épaisses bottes de cuir sans protection aucune. L’un parla et se présenta comme leur chef. Ils étaient la terrible bande à Maxou, qui terrifiait les villages voisins depuis maintenant plusieurs jours. Malgré la vilenie manifeste du terrible groupe, Enguérôme, du haut de son cheval et de son immense mansuétude, voulut leur donner une chance. Manants ! clama-t-il, abandonnez votre vie de vice et rejoignez le droit-chemin ! Si devant moi vous vous repentez, je consens à vous épargner !
Il avait parlé juste et clair, mais les yeux torves de ses adversaires étaient restés rivés sur le jambon qui pendait à sa selle. Ils n’avaient même pas la décence de lui prêter attention ou de retenir le filet de bave qui s’échappait du coin de leur bouche. Des rustres, incapables de faire passer leurs valeurs avant leur estomac, pensa-t-il, bien qu’il fût curieux qu’ils soient à ce point pécheurs par gourmandise au vu de leur apparente maigreur. Devant la cruelle bestialité de ses adversaires, Enguérôme n’eut d’autre choix que de sortir son épée et de leur offrir le combat qu’ils réclamaient. Il abattit sa lame encore et encore : il ferrailla durement, une fois, deux fois, et enfin ses deux ennemis encore debout prenaient la fuite malgré leur écrasante supériorité numérique. Il avait glorieusement triomphé au péril de sa vie, et repartit avec la satisfaction de se dire que, pour peut-être la première fois depuis le début de la semaine, les honnêtes villageois des villages voisins pourraient enfin dormir sur leurs deux oreilles.
Il ne manqua pas de relater l’exploit à qui voulait l’entendre lorsqu’il arriva le soir même à l’auberge voisine. Non pas qu’il eut l’orgueil de se vanter, mais il fallait bien prévenir la population que la menace qui planait était écartée, et que l’affaire arrive aux oreilles des conteurs pour que légende se fasse. Absorbé par ses récits, le pied rehaussé d’un tabouret et le poing brandi glorieusement vers le lustre de l’auberge, il ne vit pas la main sournoise s’approcher de sa ceinture et lui couper les cordons de sa bourse. Le brave Enguérôme ne se rendit compte de rien, mais un villageois, qui assista à la scène, se plaça discrètement derrière le voleur pour le punir à son tour. Soucieux de ne pas interrompre le récit du chevalier d’un scandale, il choisit d’ôter la bourse de la poche du voleur plutôt que de le confondre publiquement. C’est alors qu’Enguérôme, qui n’avait été distrait qu’un temps, bien excusé par sa verve narrative, remarqua de son œil d’aigle le geste coupable. Il bondit de table en table, s’élança par-dessus l’assemblée et attrapa par le poignet le vilain. Il lui ôta la bourse des mains et l’admonesta d’un sermon bien senti. Alors qu’il s’apprêtait à la rendre à son propriétaire, il remarqua à quel point elle ressemblait à la sienne, au détail que, contrairement à la sienne, celle-ci avait les cordons coupés. Il le félicita alors de son bon goût en matière d’escarcelle et la lui posa dans la main en le gratifiant d’une tape amicale sur l’épaule. Plus tard dans la soirée, il remarqua que sa propre bourse lui manquait : il avait dû l’égarer plus tôt. Qu’importe ! Rien ne pourrait assombrir son humeur après la bonne action qu’il avait accomplie ce soir, et c’est fier de ses exploits qu’il s’endormit.
Entendez bien la valeur d’Enguérôme : là où la plupart des chevaliers ayant accompli fait d’arme similaire s’en seraient vantés (à raison) des années durant, prenant même parfois leur retraite de peur que d’aventure supplémentaire leur image ne se ternisse, conscients d’être sûrement au sommet de leur gloire ; lui dès le lendemain matin sellait son cheval pour reprendre les routes. Il n’aura profité qu’une maigre soirée de son succès, mais peu lui en coûtait : il était convaincu de n’être qu’au début de sa légende, et, bien que très impressionné par ses précédents exploits, ils ne pouvaient qu’être les plus insignifiants de sa carrière puisqu’ils étaient les premiers. Les bandits étaient certes terrifiants, et redoutablement agiles avec leurs canifs (heureusement qu’il avait eu le bon sens de porter sa longue cotte de maille, car son écu avait manqué de ne pas lui suffire) ; mais il restait des dragons à combattre, et Enguérôme, fort de ses précédents succès, n’avait de doute sur ses chances. Il entendit, lors de ses errances, qu’un grand dragon rouge avait ravagé la grande ville de Port-Clérus, au sud, et avait d’ailleurs mis fin à la guerre par la même occasion, entérinant la victoire de l’Arthon. Enguérôme ne se laissa pas désarçonner par les informations parasites, comme le fait que le front qu’il souhaitait rejoindre n’existait plus et la guerre déjà perdue (qu’on se le dise d’ailleurs, en sa présence les choses auraient été bien différentes) ; mais se concentra sur l’essentiel : un dragon avait été vu à Port-Clérus ! Au diable la guerre et les chevaliers arthonniens : que pouvaient-ils valoir face à un véritable dragon ? Voilà qu’il l’avait, sa grande quête ! Il irait occire ce dragon et ce dernier ferait bien de commencer à trembler, car Enguérôme de Tourmol était en chemin. Cette fois son voyage se fit avec davantage de préparatifs. Il se rendit à Port-Clérus et questionna partout les témoins. Il enquêta méticuleusement, des semaines durant, et finit par découvrir deux informations essentielles : le dragon avait fui par la grande mer de l’est (sans doute avait-il entendu au loin le galop de son cheval), et une expédition navale avait levé l'ancre depuis le port d’Errassius, plus au sud, pour partir à sa recherche.
Encore une fois, Enguérôme arrivait trop tard, mais il ne désespéra pas : dans cette expédition on avait envoyé le Faucon des mers, navire amiral de la Guilde des marchands, réputé être le meilleur navire du continent, on avait envoyé Cérès et Selifer, meilleurs mages de Trost, siégeant anciennement à son conseil, et Jade de Neville, générale des forces Perrasiennes libre, et héroïne acclamée de la guerre. Mais on n’avait pas envoyé Enguérôme de Tourmol : autant dire que, aussi malheureux que ce fût pour les expéditionnaires, cette expédition était vouée à l’échec.
Ainsi il se rendit tout de même à Errassius et le voyage lui prit plusieurs mois, pour ne pas dire presque une année entière. Pour lui qui était habitué aux grandes plaines d’Hélongar, les forêts boquéroises étaient particulièrement traîtres, aussi à qui lui assurera que le trajet à cheval entre Port-Clérus et Errassius ne pouvait excéder les deux semaines, il concédera volontiers s’être perdu une fois ou deux sur la route. Il pourra également répondre que cela était écrit, comme dans toutes les belles histoires (et la sienne en était une), puisque cela lui permit d’arriver au moment même où une seconde expédition se mettait en place pour se rendre au secours de la première, qui, sans surprise, n’était jamais revenue. Il se présenta sur le port, approcha l’équipage de la Seiche d’argent, navire choisi pour l’expédition de sauvetage. On le renvoya au corps expéditionnaire qui accompagnait les marins, un certain groupe d’aventuriers principalement constitué de Perrasiens qui avaient joué un rôle quelconque dans les événements de la guerre. Ils étaient rassemblés là, sur un quai, à organiser leurs équipements et à discuter entre eux. C’était un groupe hétéroclite : Il y avait là deux mages, qui discutaient entre eux : l’un aux cheveux bruns épais et à l’air calme, qui portait une robe gris-bleu ; et l’autre à la cape noire brodée d’or, qui se tenait cambré, la main sur les hanches, comme ceux qui n’avaient pas peur de s’emporter et de parler fort. Ils étaient Perrasiens, ces deux-là, Enguérôme l’entendait à leur accent. En s’approchant, il entendit leurs derniers échanges.
— Tu as tous les parchemins, au cas où il faille faire un rituel ? s’enquit le mage aux cheveux bruns.
— Tous ceux que tu as eu le temps de griffonner salement avant que l’autel ne s’effondre, oui, répondit l’autre avec dédain.
— Tu sais bien que j’étais forcé de détruire cette tour !
— Si je m’étais senti obligé de désintégrer un bâtiment chaque fois que je m’étais retrouvé encerclé, la Perrasie serait à court de monuments !
— Ce n’était pas tant leur nombre, ils devaient être vingt, tout au mieux, mais tu aurais vu leur force ! Ils tordaient l’acier à mains nues et se relevaient même une épée au travers du corps.
— Je dis simplement que si tu avais eu un peu plus de jugeote à Jahr, on aurait évité tout le fiasco de Melenoria !
— Alors là ! Tu es bien la dernière personne à pouvoir me dire ça ! Veux-tu que je te rappelle les raisons dudit fiasco ?
— J’aurais dû te laisser dans les limbes de l’espace ou du temps où tu t’étais perdu…
— Ça c’est la meilleure ! Quel culot !
Deux autres figures descendaient du bateau. Deux femmes, cette fois : une jeune guerrière aux cheveux roux, qui portait une armure protégée des embruns par de lourds habits de voyage, et une curieuse créature : elle avait l’apparence sculpturale d’une Elfe aux cheveux longs, mais son corps était entièrement végétal, assemblage curieux de bois et de plantes qui se mouvait avec souplesse. Elle portait de riches vêtements d’aristocrate qui rappelaient l’aspect floral de son apparence et qui avaient été modifiés pour convenir aux affres des routes. Elle s’immisça dans la discussion.
— Cessez de vous battre, enfin ! Xélès et ses sbires ont été vaincus, l’Arbre-Mère sauvé, et Gil est revenu parmi nous, rien ne sert de ressasser le passé ! Vous avez surtout bien de la chance d’être encore en vie, tous les deux, après toutes les embrouilles dans lesquelles vous vous êtes fourrés ! Cette chance, on ne l’a pas toute eu !
— Oh, eh, princesse, tu marches, tu parles et tu te plains, c’est tout comme ! Rétorqua la guerrière à sa suite. Au moins, avec ton nouveau corps, tu peux nous aider à porter les caisses. On manque de bras solides, dans cette équipe d’intellos.
Le mage à la cape noire lui rendit une œillade agacée, et les lourds bagages entassés à ses pieds, sans qu’il ne bouge le petit doigt, se mirent à léviter pour venir se placer tous seuls sur le pont du bateau. Pour répondre à la provocation, la guerrière empila les caisses restantes et les souleva toutes d’un coup sans broncher, avant de reprendre sa route vers le navire, vexée.
— Tu ne devrais pas faire ça : tu sais bien pourtant ce dont elle est capable, marmonna le deuxième mage à l’oreille de son ami qui ne pouvait retenir un sourire en coin d’insolence.
C’est sur ces entrefaites qu’Enguérôme s’introduit. Il n’avait pas compris tous les tenants et aboutissants de la discussion, mais ce qu’il en retirait, c’est que ces braves gens n’avaient pas eu autant de succès que lui dans leurs précédentes aventures, qui semblaient remplies de déboires et d’échecs. Ils ne connaissaient pas leur chance : se présentait à eux l’un des chevaliers les plus valeureux de Perrasie, qui n’avait fait de triompher de ses ennemis et obstacles depuis qu’il avait quitté son logis.
— Bonjour, valeureux voyageurs ! commença-t-il. S’ensuivit un long silence. Il n’avait tout d’abord pas jugé utile de leur indiquer son nom, car s’il avait mis du temps à atteindre Errassius, il ne faisait aucun doute que les bardes l’avaient précédé et qu’ici tout le monde connaissait déjà sa légende. Voyant qu’il ne recueillait que dubitatifs regards, il comprit : les voyageurs connaissaient évidemment son nom, mais ne savaient pas encore à quoi il ressemblait, car les enlumineurs n’avaient pas eu le temps de décorer les chants écrits à son sujet.
— C’est moi ! Le chevalier Enguérôme de Tourmol !
Leur réaction n’évolua guère. C’était compréhensible, ce n’était pas tous les jours que l’on pouvait mettre un visage sur un nom aussi célèbre. Néanmoins il mit son humilité de côté et consentit, pour leur épargner la gêne de ne parvenir à cacher leur trouble, de déballer par le menu son impressionnant curriculum vitae.
— Défenseur des petites gens, et pourfendeur de la terrible bande à Maxou.
À dire, c’était bien plus court que ce qu’il avait en tête, et le reste de l’assemblée soutint son regard comme pour attendre une suite à son énumération. Enguérôme poursuit alors.
— Et pourfendeur de dragon !… En devenir, du moins : aussi brave que soit mon destrier, je doute qu’il soit apte à traverser les flots. C’est ainsi que je viens quérir votre aide, noble équipée : laissez-moi rejoindre vos rangs ; prêtez-moi votre navire et je vous prêterai ma valeur et mon épée !
La guerrière rousse s’engagea de nouveau sur la rampe d’amarrage, la main sur la hanche et l’air intrigué.
— Tu sais où l’on se rend, chevalier ? Je sais admirer de la bravoure quand j’en vois, mais tu sembles surtout animé d’inconscience. Il y a tout de même une différence de taille entre quelques brigands de l’arrière-pays et un dragon de chair, d’os et de magie.
— Mais il y avait une différence de taille encore plus grande entre moi et ces-dits brigands, ma dame. S’il fallait avoir déjà tué un dragon pour pouvoir tuer un dragon, il n’y aurait que les menteurs qui se vanteraient d’en avoir déjà tué un !
Le mage à la cape noire haussa un sourcil, amusé de l’aplomb du chevalier.
— Après tout… Et pourquoi pas un combat amical contre Elyr, dans ce cas ? C’est presque un dragon à sa manière, ça nous donnerait une idée de ton niveau !
— Salmir ! s’offusqua la guerrière rousse que l’adresse visait.
— Ce ne sera pas nécessaire ! Intervint une voix qui avait porté jusqu’au quai depuis le bastingage : accoudé à la proue, un homme barbu aux habits de marin observait la scène avec une curiosité paternelle. Le reste du groupe se retourna vers lui pour l’interpeller.
— Un avis, capitaine Wallerby ? Vous le connaissez ?
— Pas le moins du monde, mais il serait idiot de cracher sur des bras capables et courageux. De plus, embarquer un chevalier pour une chasse au dragon, cela nous apportera davantage de soutien de la part de la population. Sans offense, mais ils forgent de meilleures légendes que les mages.
— Et moi, alors ? Je compte pour du beurre, grogna Elyr en croisant les bras.
— Pas toi, Elyr : il faut un héros perrasien pour les Perrasiens… commenta Salmir qui commençait à comprendre où le marin voulait en venir. Le groupe échangea alors un regard entendu.
Et c’est ainsi qu’impressionnés par la bravoure et la droiture d’Enguérôme, on lui fit une place d’honneur au sein de l’expédition de la Seiche d’argent.
Ce qui se passa au cours de ce voyage alimenta de nombreuses histoires, et notre chevalier a, vous vous en doutez, le plus beau rôle dans de nombreuses d’entre elles. Peut-être qu’un jour le temps viendra de vous les narrer en détails, mais pour le moment, contentez-vous de ceci : l’expédition de la Seiche d’argent fut couronnée de succès, et les survivants de la précédente expédition, qui s’étaient naufragés, ramenés vivants avec leur navire. Il va sans dire qu’Enguérôme joua un rôle prépondérant dans la réussite de cette entreprise. Quant au sort du grand dragon qui avait attaqué Port-Clérus, aucun des aventuriers parmi ceux ayant survécu au voyage ne voulut piper mot de ce qui s’était passé, et Enguérôme ne faisait malheureusement pas partie de ces derniers.
N’ayez pas le cœur serré, braves gens ! S’il est mort, c’est fièrement dressé contre les flots, face à la gueule béante du terrible reptile : qui d’entre nous pourra se vanter de connaître pareille fin ? Plus encore, tout ce que nous avons pu arracher aux lèvres des expéditionnaires, c’est que ni le dragon ni Enguérôme ne reparaîtront jamais sur nos rives. Serait-il alors si hasardeux de penser que là-bas, quelque part par-delà les mers, au milieu d’un orage sans fin, le chevalier et la bête croisent encore le fer et les crocs, incapables de se départager dans l’éternité ? Si je ne peux pas assister à leur combat, je peux tout de même vous assurer quelque chose : c’est que là-bas, entre la foudre et les éclats de l’acier, on peut encore entendre Enguérôme rire de bon cœur.
Cyan Malherbe, février 2023, Lille.