Karmeric III

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Karmeric III
Nom de naissance : NA
Alias : Monseigneur, Messire, Son Altesse, le Troisième
Naissance : Non Communiqué
Statut : En vie
Activité(s) principale(s) : Roi de l'Arthon


Karmeric III est le roi de l'Arthon au pouvoir durant les événements des jeux de rôle et des romans. Il fait très rarement des apparitions publiques, souvent liées à des cérémonies féodales, au point où peu de gens savent à quoi il ressemble.

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Délicatement, entre ses deux doigts, il se saisit du fruit charnu et le fit tourner sur lui-même jusqu’à ce que la queue s’en détache, puis le posa avec soin sur la crème fouettée qui recouvrait sa tarte. Karmeric III se redressa sur sa chaise et contempla son œuvre, satisfait. Il avait mis cinq bonnes minutes à trouver la plus belle cerise du grand bol qu’on lui avait apporté, mais cela en valait la peine. Avec ses couverts d’argent, il découpa religieusement une part et la porta à sa bouche en s’assurant que sa fourchette comportait des parts strictement égales de crème, de tarte et de fruit.Il profita un instant des arômes qui flattaient son palais, puis il se rinça la gorge d’une liqueur sucrée que son maître-queux avait choisie pour l’occasion. Il s’essuya la bouche avec un mouchoir de soie, brodé de son initiale, puis expira doucement pour prolonger cette agréable sensation de bien-être. Le bruit de sa chaise, qu’il recula pour se lever, résonna dans l’immense salle vide, et aussitôt deux domestiques accoururent de l’ombre pour longer la grande table depuis ses deux extrémités afin d’atteindre son couvert et le débarrasser.

C’était l’heure de la marche digestive. Les mains jointes dans le dos et le menton haut, le Roi procédait au gré des couloirs de ses quartiers. Aux murs, adossés aux tapisseries, étaient de grands portraits vêtus de grands cadres d’or, et des gardes décorés vêtus d’armures décorées. Karmeric III les saluait au passage. « Bonjour, Charles !  Vous êtes radieux aujourd’hui, grand-père. Vous aussi, grande-tante, rangez-moi donc ce regard assassin ! Mon cher Jérôme, comment va votre femme, toujours malade? Et votre fils, Auguste ? Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu."

Il n’obtenait guère plus de réponse que quelques brefs hochements de tête de la part de ceux qui pouvaient opiner, et quelques œillades sévères des autres qui, figés dans l’éternité, avaient le privilège de ne pas avoir à baisser les yeux par politesse.

Au bout du couloir se trouvait la salle des audiences. Il saisit sa couronne du bout des doigts depuis le coussin vermeil que son page lui tendait et la vissa sur sa tête en s’assurant que ses boucles brunes soigneusement lustrées retombaient égales sur ses deux joues et mettaient ainsi correctement en valeur son teint. Il lissa sa barbe et sa moustache et se racla la gorge. Comme tous les matins, la perspective de passer l’arche qui lui faisait face lui donnait chaud au ventre de hâte et d’appréhension. Une fois de l’autre côté, il irait s’asseoir sur son trône, et viendraient des représentants de son peuple lui présenter leurs problèmes, qu’il s’affairerait à entendre avec toute sa considération. Il prenait son rôle à cœur, et tenait absolument à ces quelques heures quotidiennes au contact de ses gens, même si cela pouvait parfois se montrer intimidant.

Au moment de passer le seuil, ses yeux gravirent les arceaux de la porte pour croiser ceux de la figure qui trônait dans le tableau du couloir le plus imposant. Il y était inscrit en grandes lettres gravées dans une plaque de laiton : « Karmeric II, le sévère ». les mots de son père lui revenaient en tête, et comme tous les matins, lui faisaient reprendre courage.

Mon fils, sais-tu pourquoi j’ai repris le nom de notre aïeul ? Karmeric I était un roi guerrier, un conquérant, et depuis son règne, aucun n’a osé lui succéder en nom. On eut des Galaad, des Berotar, jusqu’à mon père et son grand-père, Vesmir IX et Vesmir X, mais jamais un second Karmeric. L’Arthon n’était pas toujours à la paix, loin de là, mais, outre un respect pudique pour le nom du Fondateur, nos ancêtres ont préféré prendre le nom de figures pacificatrices, ne serait-ce que pour nous donner l’espoir de cette paix. Alors, pourquoi ce nom guerrier ? Parce que nous sommes en paix, mon fils, parce que nos prédécesseurs ont réussi. Mais personne ne veut d’un roi de paix pour la maintenir. La paix durable, c’est l’intimidation. C’est dissuader ses voisins de lorgner la guerre. Et pour ce faire, mon fils, quoi de mieux que le nom du plus grand des guerriers ? Peu importe ce que tu fais, mon fils. Être roi n’est pas une affaire d’actions, c’est une affaire de paraître. Ce n’est pas toi qui, à la force de tes bras, va faire tourner cette mécanique écrasante qu’est notre royaume. Tu n’en es que le plan, la carte, que vont s’évertuer de lire et d’interpréter tous ceux capables d’en faire bouger les engrenages. Ton travail, c’est de leur montrer ce qu’ils s’attendent à voir, de leur donner cette inspiration pour les guider. Karmeric II, le Sévère… C’est ce qu’on attend de moi, car le défi de mon règne était de consolider bec et ongle ce territoire dont nous avons hérité. Le Sévère, le Juste, le Bienveillant, le Sanglant, le Fou, le Pieux, autant de surnoms qui ont marqué autant de règnes. Ce n’est pas vraiment de caractère, c’est de politique. Chaque roi s’est attelé à correspondre à ce que son temps lui réclamait.

Et toi, mon fils, quel sera ton nom ?

On ne l’appelait que Karmeric III. Il n’avait pas vraiment connu de rupture politique majeure de son vivant, alors il était docilement devenu « celui qui vient après », le Troisième. Il continuait à appliquer les doctrines de son père méticuleusement, puisqu’elles lui avaient toujours réussies. Alors il entra dans la salle d’audience, rasséréné par cette paternelle sagesse, et s’assit sur son trône. Deux trompettistes clamèrent de concert l’ouverture des audiences. Karmeric III se passa deux doigts sur l’oreille, indisposé par la force des cuivres. Quelle idée de les faire jouer ici, où il y avait tant d’écho ? Il entendit les bruits de pas du premier visiteur. Les sourcils de Karmeric III se réunirent dans un effort de concentration : comme d’habitude, passé cet instant, son rendez-vous n’apparaîtrait sur le parvis de marbre que quelques secondes plus tard.

Karmeric III célébra intérieurement. Il avait bien reconnu ces pas, c’étaient ceux de ce paysan qui venait souvent. Quelle vie épouvantable ce pauvre homme avait ! C’était presque chaque semaine qu’il le voyait revenir avec un nouveau souci. Il fallait qu’il soit motivé, le bougre : si le roi en croyait son percepteur, les champs les plus proches du palais d’Atthalos étaient à bien trois jours de marche… Qu’il était sale et déguenillé ! Il avait le visage noir de charbon, les dents maculées d’on ne savait quelle matière brunâtre et des vêtements si tachés et déchirés qu’on eût dit les lambeaux d’une toile maculée de peinture pourrie et dépigmentée. Il n’avait qu’une cordelette effilochée en guise de ceinture qui retenait un simulacre de pantalon en jute lui tombant sur les pieds, dont l’un était nu et l’autre à l’inconfort dans un sabot trop grand et fendu. Ah ! Ces paysans étaient bien braves, à travailler dans des conditions si difficiles ! Il s’agissait de ne pas l’offenser en fronçant du nez ou d’un quelconque signe de dégoût. Il devait rester fort face à son visiteur : le pauvre n’avait pas choisi de naître dans du chanvre plutôt que de la soie.

— Jean, mon cher ami, comment vous portez-vous ?

— Ah ! Monseigneur, si vous saviez ! Ma femme est tombée malade, des furoncles lui ont poussé sur tout le visage, j’ai dû vendre mon dernier âne pour lui trouver un médecin qui ne lui a donné que des charlataneries ! Je suis désespéré, mon bon roi ! Sans le sou, et sans ma femme pour m’aider aux champs, que va-t-il advenir de mes enfants ?

Le visage du roi s’illumina.

— Mais enfin, Jean, c’est formidable ! Votre femme est donc vivante, c’est une excellente nouvelle ! Je la croyais morte d’une crise de sang-courant la semaine dernière !

Jean avait le regard dans le vague, certainement accablé par la douleur de sa triste condition.

— Heu… C’était mon autre femme.

— Votre autre femme, Jean ? S’étrangla le roi offusqué. Jean lui avait toujours paru être un père aimant et fidèle.

— Enfin, mon ancienne femme, je me suis remarié, voilà.

Le roi se rasséréna.

— Ah ! En une semaine ! Vous n’avez pas perdu votre temps !

— Vous savez, ces choses vont vite à la campagne. Et puis, c’est-ce qu’elle aurait voulu.

Le roi soupira, accablé.

— Cette brave Hilda, ça ne m’étonne pas d’elle…

— Qui ça ?

— Mais enfin Jean, Hilda, votre ancienne femme.

— Ah, tout à fait. Pardonnez-moi messire, je n’entends plus bien depuis qu’un rat m’a mangé l’oreille, un hiver de famine.

— Vos oreilles m’ont l’air tout aussi grandes qu’à leur habitude !

— C’est qu’elle a repoussé depuis, fort heureusement, mais j’en suis resté un peu sourd, voyez-vous.

— Ah ! Fort bien !

Jean échangea un regard avec les gardes royaux, l’air flottant, puis reprit sa contenance.

— Enfin, voilà ! C’est terrible !

— J’entends bien, mon cher Jean, c’est affreux ! Il faut absolument faire quelque chose ! Manfred !

Un page aux vêtements colorés se précipita vers le trône.

— Oui, Monseigneur ?

— Faites quelque chose !

— Ce sera fait, Monseigneur.

Le page se retira et Karmeric III se réajusta dans son fauteuil, satisfait. Il était si simple de rendre service, quand on était dans sa position. Il ne comprenait pas les tyrans qui se bornaient à être cruels. Jean se confondit en prières, en remerciements serviles et il se retira ; le Roi salua dignement sa sortie. D’autres bruits de pas suivirent. Ceux-là, il ne les connaissait pas, et il ne les aimait pas. Ils étaient légers et discrets, la marque des gens duplices. Il aimait les pas gauches et lourds, qui portaient sincèrement le poids de leurs problèmes et de leurs misères. C’est une jeune fille qui entra cette foi, une brune aux cheveux longs. Elle était bien coiffée et avait le regard vif, brûlant de deux prunelles émeraude. Malgré son teint pâle et des cernes profondes, elle ne courbait pas sous son apparente fatigue : elle restait droite, le port altier dans sa belle robe de mage sur mesure, conçue pour être pratique et élégante. Le Roi s’avachit et fit la moue : une mage. Qu’avaient-ils pu bien encore inventer pour l’ennuyer aujourd’hui ?

La jeune fille jeta une œillade derrière elle, dans le sillage du paysan qu’elle venait de croiser, l’air troublée.

Encore une pédante incapable de respecter les petites gens, pensa le Roi.

— Qu’est-ce que tu veux ? lui demanda-t-il sans parvenir à cacher son apathie.

— Je… Vous le connaissez ? Demanda-t-elle en regardant de nouveau vers l’arrière, comme si elle ne parvenait pas à croire ce qu’elle avait vu.

— C’est Jean, un brave paysan qui venait me parler de ses problèmes. Tu devrais te montrer plus respectueuse, sache que nous accueillons tout le monde, dans cette salle. N’oublie pas que c’est eux qui te nourrissent !

— Pardonnez-moi, mais… Vous en voyez beaucoup, des paysans ?

Le Roi s’offusqua d’abord, mais il lui fallait bien répondre. En y réfléchissant, quand il s’agissait du monde paysan, c’était souvent Jean son interlocuteur.

— Ce… que… je… non, mais quand bien même : la campagne est fort loin, et Jean est un excellent porte parole !

— Pour sûr, venir d’aussi loin en boitant sur un sabot, il a du mérite… à sa place, j’aurais continué pieds nus. À moins qu’il n’aille plus vite à cloche-pied…

— Ah ! Vous voyez !

— Je n’aurais pas cette force, à me lever tous les matins pour avoir le visage maculé de charbon à force de couper les blés.

— N’est-ce pas ?

Le bruit sourd d’une hallebarde frappée contre le marbre du sol les interrompit.

— Votre temps d’entretien est compté ! Cessez de faire perdre du temps à Monseigneur et venez-en au fait ! Ordonna un des gardes du trône du roi, qui se redressa sur son accoudoir.

— C’est vrai, ça, tu ne t’es même pas présentée.

— Lylé de Furgénie, Fides Magus de Sa Grandeur Isir de Vigréol, Monseigneur. Nous nous sommes déjà rencontré lors de mon adoubement.

— Ah, oui, peut-être…

— C’est la plus jeune mage de l’histoire de Torsmester, fille du Haut Conseiller aux affaires magiques Honoré de Furgénie, monseigneur, lui souffla Manfred à l’oreille.

— Ah, oui, peut-être… Bien, et que puis-je faire pour toi, alors, jeune magicienne ? Tu ne peux pas aller embêter Isir, plutôt ? Il s’y connaît mieux que moi avec tous vos machins magiques.

— Navrée de vous importuner, Monseigneur, mais c’est important. J’ai attendu longtemps pour avoir cette entrevue.

— Oui, mais tu comprends, c’est bien normal ! Tes histoires peuvent bien attendre, j’en suis sûr, lorsque pour des gens comme Jean, c’est une question de vie ou de mort !

— C’est d’autant plus un question de vie ou de mort qu’il s’agit de la vie et de la mort de nombreux citoyens, Monseigneur.

— C’est pas vrai, qu’est-ce que vous avez encore fait exploser ?

— Rien pour l’instant, Monseigneur, mais j’ai de bonnes raisons de penser qu’Atthalos est en grand danger.

— Ah ! Je vois ! Où est mon Haut Conseiller aux affaires intérieures et criminelles ? Comment s’appelle-t-il, déjà… Bé…

— Béthel de Chromarys a disparu l’année dernière, Monseigneur.

Karmeric III se laissa tomber sur son dossier, bougon.

— À quoi servent ces maudits conseillers s’ils ne sont pas là quand on a besoin d’eux. Et son remplaçant, alors ?

— Vous ne l’avez pas remplacé, Monseigneur. Vous avez laissé ce poste à la charge du Grand Ministre et de ses Fides Magus, sur les conseils de Sa Grandeur lui-même, Monseigneur.

— Eh bien parfait ! Allez-donc voir cela avec eux !

— Je suis avec eux, c’est bien pour cela que je suis ici, Monseigneur.

— Vous êtes en train de me dire que vous n’arrivez pas à régler ça vous même ?

— … On peut dire ça comme ça, oui.

— Cessez donc vos devinettes, c’est agaçant.

— Je travaille sur un projet magique pour le Grand Ministre, et j’ai bien peur qu’il sous-estime les risques que celui-ci implique, mais je ne parviens pas à lui faire entendre raison. Je préconise que vous impliquiez un organisme de contrôle tiers pour obtenir une seconde expertise à ce sujet.

Karmeric III la sonda du regard et passa plusieurs secondes à méditer sur ses paroles. Un silence inconfortable commença à s’installer.

— … Vous n’avez pas compris un traître mot de ce que je viens de dire, c’est ça ?

— Si ! J’ai parfaitement compris ! Se défendit le roi. Mais pour être tout à fait certain, pourrais-tu m’expliquer encore une fois ?

— Le Grand Ministre m’a demandé de fabriquer une machine qui, si elle explose, peut faire des énormes dégâts, et je pense qu’elle va exploser.

— Et Isir ?

— Pense qu’elle ne va pas exploser.

— Alors tout va bien !

— Je vous demande pardon ?

— Si Isir dit qu’elle n’explosera pas, c’est qu’elle n’explosera pas !

— Monseigneur, je vous dis qu’elle a des grandes chances d’exploser.

— Et qu’est-ce que tu en sais, jeune fille ?

— Monseigneur, j’ai conçu les plans de cette machine, je pense que je…

— Tu veux dire que tu as donné à Isir des plans ratés ?

— Non, mes calculs sont bons, mais ça ne change rien, le projet en lui-même est trop dangereux et…

— Ah ! Je comprends ! Tu es jeune, tu manques de confiance en ton travail, c’est tout à ton honneur : il faut savoir rester humble. Moi-même, qui suis le roi, il n’y a pas un jour où je ne me remémore pas que je ne serais personne sans mes sujets. Écoute, si Isir t’a choisie comme Fides Magus, c’est qu’il sait que tu en es capable, alors tu n’as pas de soucis à te faire.

Karmeric III lui adressa un sourire attendri. Ce n’était pas une mauvaise fille, dans le fond, c’était juste une jeune prodige qui doutait de ses capacités.

Elle recula d’un pas, et ses épaules s’affalèrent. Elle resta un instant figée ainsi, dans une expression de stupeur. Cela ne l’étonnait pas : c’est le genre de leçon de vie qui vous marquait, en ce jeune âge.

— Vous ne m’avez même pas demandé ce que le Grand Ministre comptait faire d’une telle machine…

— Que compte-il faire d’une telle machine ? Demanda le Roi, qui accepta de jouer son jeu.

— Je n’en sais rien, alors que je l’ai construite ! Vous ne pensez pas que c’est une bonne raison de vous en préoccuper ? Ça ne vous inquiète pas que le plus haut décisionnaire du pays fabrique dans votre dos une machine d’apocalypse ?

— Mais, enfin, jeune fille ! Je ne demande pas à mes domestiques à quoi vont leur servir leurs différents balais et brosses ! Il faut savoir déléguer, dans ma position ! Si le Grand Ministre a commandé cette machine c’est qu’il en avait besoin, voilà tout ! Applique-toi à ton travail, Isir, lui, s’applique au sien et tu verras que tout fonctionnera parfaitement comme une grande horloge. Il avait ponctué ses mots d’un grand geste où se rejoignaient ses mains et s’imbriquaient ses doigts les uns dans les autres, pour accompagner son ton bienveillant et paternaliste.

— … D’accord. Vous avez raison…

Elle avait le visage fermé et regardait ses pieds, sans doute plongée dans une profonde réflexion introspective après ses paroles pleines de sagesse.

Le garde du trône s’avança d’un pas.

— Ton temps est écoulé. Salue Son Altesse et va-t-en.

La magicienne hocha brièvement la tête, tourna les talons, et s’éloigna d’un pas sec.

Karmeric III se tourna vers ses gardes, offusqué.

— Eh bien ! Quelle ingratitude !

— Voulez-vous qu’on la rattrape pour la forcer à vous saluer en bonne et due forme, Monseigneur ?

— Non, laissez, on a la tête ailleurs à cet âge, ce n’est pas bien grave. Faites plutôt entrer le prochain !

Les bruits de pas reprirent. Ceux-là étaient de meilleur augure. Il les entendait claudiquer, et ils étaient accompagnés par le martèlement d’une canne. Arriva le visiteur : il se tenait exagérément voûté, et s’appuyait de tout son poids sur une canne vermoulue et branlante. Il avait un filet de pêche moisi sur les épaules et des algues séchées qui lui sortait des oreilles. Il avait la bouche déformée par une pipe en liège qu’il tenait du bout des lèvres et un vieux sac à bandoulière qui débordait de poissons odorants. L’un de ses yeux était couvert d’un cache-œil, et l’autre écarquillé en permanence. Karmeric III le connaissait bien : c’était Gord, le pêcheur, qui venait souvent depuis la baie de Mesphota pour lui conter la dure vie des marins. C’était fou la ressemblance qu’il lui trouvait avec Jean le paysan, au point qu’il était persuadé qu’ils étaient de la même famille à un certain degré, bien qu’il n’eut jamais osé leur demander, de peur qu’ils pensent qu’il était méprisant au point qu’il en venait à confondre les pauvres entre eux.

— Bienvenue, mon cher Gord ! Quelle joie de vous revoir, bien que je me doute que ce soit encore une sinistre affaire qui vous amène ici.

— Monseigneur, c’est terrible ! Vous ne devinerez jamais ce qui est arrivé à mon bateau !

— Non ! Pas la fière Sardine Dansante ! Ce navire a connu tellement d’aventures !

— Monseigneur, je crains fort qu’il ne puisse plus jamais reprendre la mer !

— C’est affreux ! Il faut faire quelque chose ! Manfred !


Cyan Malherbe, 2022